jeudi 20 mars 2008

Publication : l’apport des marées noires dans la connaissance du fonctionnement des écosystèmes côtiers

BREST - 20/03/2008 - La perturbation majeure apportée à l’écosystème par la marée noire de l’Amoco Cadiz, survenue voici précisément 30 ans, peut être l’occasion de mettre en évidence les avancées scientifiques obligées qu’elle a permis tout au long des différentes phases de restauration d’un écosystème marin très perturbé. C’est ce que détaille, pour le blog Science et éthique, Michel Glémarec, professeur honoraire d’océanographie biologique à l’UBO, directeur du Laboratoire d’océanographie biologique de l’UBO en 1972 : « Toute marée noire apporte ses enseignements en fonction de la nature de la cargaison, de la latitude, de la géomorphologie et de l’hydrodynamisme locaux. La saison, le moment où apparaît la perturbation, est également importante ».
Nous avons demandé à Michel Glémarec de nous résumer ainsi les apports en termes de connaissance des écosystèmes côtiers que chacune des grande marée noire des quarante dernières années a permis d’acquérir :
- Cas du Torrey Canyon 18 mars 1967, Cornouailles anglaises, Manche : le nettoyage avec les produits détergents de l’époque élimine totalement les algues sur les rochers. La faune des sédiments subit une mortalité importante, les mollusques notamment. La restauration des peuplements sur les rochers sera de l’ordre de 16 à 17 ans. Les différentes phases de la succession écologique apparaissent avec prolifération des algues vertes, puis retour des algues brunes contrôlées par les mollusques brouteurs (bigorneaux, patelles) qui sont revenus peu à peu.
- Cas de l’Amoco Cadiz 16 mars 1978, Bretagne Nord : forts de l’enseignement du Torrey Canyon, les dispersants seront peu utilisés. Cette catastrophe qui reste la plus importante connue à ce jour, est caractérisée par la très forte évaporation dans l’atmosphère et une dissolution massive dans la masse d’eau. La mortalité immédiate puis différée jusqu’à l’automne permet d’estimer la perte de 220 000 tonnes d’animaux, susceptibles d’être consommés par les prédateurs, c’est le cas de poissons à forte valeur commerciale. 300 km de côtes sont touchés par cette mortalité. L’Amoco permet pour la première fois d’établir les différentes étapes de la succession (restauration), avec substitution par les espèces opportunistes puis stimulation par les espèces tolérantes et enfin, restructuration progressive avec le retour des espèces sensibles. Ces dernières sont essentiellement des carnivores et régulent le système en empêchant toute prolifération anarchique. Ce scénario se déroule sur 6 à 8 ans là où la mortalité a été la plus importante (région des Abers). L’événement de l’Aegean Sea le 3 décembre 1992, sur les côtes galiciennes montrera la pertinence du modèle de restauration avec des phases similaires mais d’ampleur plus réduite, notamment au niveau de l’échelle temporelle. Des déséquilibres apparaissent à différents niveaux du réseau trophique. Les poissons qui avaient fui, ayant « senti » le pétrole (le lieu de Portsall) reviendront plus tard mais n’atteigneront leur niveau d’exploitation que 2 à 3 ans plus tard. Ces poissons n’ayant pas consommé leurs proies habituelles, les crevettes roses, celles-ci seront plus abondantes que d’habitude car elles consomment la microfaune qui a proliféré sur les algues. Ces dernières ont profité de l’apport de matière nutritive que constitue le pétrole dégradé. Les crevettes se sont déplacées avec les algues échouées et deviennent accessibles à la capturabilité des pêcheurs à pied en 1979 et 1980. C’est l’exemple de la mini tâche rose dans cette marée noire. Quant aux poissons plats, ils viendront consommer des proies (des vers) contaminées par le pétrole, ce qui provoquera des modifications dans leur taux de fécondité plusieurs années après l’événement.
- Cas de l’Exxon Valdez 26 mars 1989, Alaska, Prince Williams Sound : le pétrole ne contamine pas les animaux de fond (benthos) dans ces fjords profonds (de l’ordre de 300 m). Aucun modèle de substitution n’apparaîtra. Le pétrole souille le milieu rocheux qui découvre, c’est « l’anneau de baignoire ». La mortalité apparaît dans les niveaux supérieurs du réseau trophique (aigles, lions des mers, phoques, loutres …). Ceci entraîne des modifications au sein du réseau trophique. S’il y a moins d’aigles, leurs proies, les oiseaux de mer, sont plus nombreux, et consomment abondamment le benthos. Plusieurs exemples de ce type de déséquilibre sont des cas d’école. Mais il se passe quelque chose de totalement inattendu, apparu dans la masse d’eau puisque c’est 3 et 4 ans après l’événement que les stocks exploités de harengs et de saumons s’écroulent presque intégralement. Ces derniers ne pourront se reconstituer que très lentement. Tout phénomène qui intervient dans la masse d’eau reste aujourd’hui non élucidé, non mesurable, dans l’état actuel de la science.
- Cas de l’Erika 12 décembre 1999, Bretagne Sud : contrairement à ce que pouvaient prévoir les modèles de circulation atmosphérique et océanique avec notamment l’influence de la Loire, la tempête de Noël a projeté l’essentiel de la cargaison sur la partie terrestre du littoral (dunes, marais) et dans les marais salants. Sur les falaises battues, les moules et les pouces-pieds ont été contaminés, mais au bout de trois mois, la concentration en hydrocarbures était devenue négligeable. Quelques phénomènes de déséquilibre ont pu être observés durant deux ans environ. C’est le cas des flaques intertidales où, les oursins étant morts, il y a eu une prolifération d’algues, vite contrôlée une fois les oursins revenus, deux ans après l’événement. Ce n’est qu’un exemple d’un déséquilibre limité. Pour la partie immergée, l’impact économique a largement dépassé les évaluations des pertes écologiques, c’est un phénomène d’amplification.
En conlusion on peut dire qu’il n’y aura jamais de corrélation entre le tonnage d’une cargaison et l’estimation des pertes au niveau d’un écosystème. Chaque accident apporte ses spécificités et les méthodes de traitement et de lutte doivent être aménagées. La saison est importante pour la prise en compte de ces moyens ainsi que la présence ou non d’espèces économiquement importantes. Pour une espèce donnée, il faut aussi prendre en compte son stade de développement (œufs, larves, adultes).Toute perturbation de type « marée noire » accélère le déclin d’activités économiques vieillissantes. Ce phénomène est apparu modestement sur la côte Nord de Bretagne ; par contre en Alaska, est apparue une réelle perte d’identification culturelle des tribus indiennes. L’afflux de l’argent compensatoire a créé des « spillionnaires » et des divisions au sein des familles entre ceux qui acceptaient et ceux qui n’acceptaient pas le « blood money ».
© blog science et ethique Mars 2008