mercredi 23 mars 2011

Les risques de la nature, le nucléaire et la pédagogie


La triple épreuve que vit le Japon depuis le 11 mars 2011, tremblement de terre, tsunami et accident nucléaire, remet les gouvernements de la planète en état d'alerte sur le plan politique, économique et sociétal. La dignité avec laquelle la population japonaise s'est organisée face à ses drames est exemplaire.


Si tous les médias ont réalisé des reportages exceptionnels, le blog Science et Ethique (relire également article du blog du 18/03/2011) a tenu à vous signaler certaines de ces émissions réalisées ou des articles publiés par les partenaires et les amis des entretiens Scientifique et Ethique et nous avons également demandé à deux scientifiques Marc-André Gutscher et Michel Marcelin de nous procurer leurs réflexions et sentiments sur les événements.


Quels repères pour y voir plus clair : écouter ou réécouter des émissions sur France Culture

Samedi 18 mars dernier, France Culture a consacré ses émissions sur l'accident nucléaire et l'enjeu des avancées scientifiques. Nous vous invitons à réécouter ces trois émissions sur le site de France Culture pour mieux comprendre les contraintes et les nouvelles libertés, l'exemple du désintérêt des politiques pour les nanotechnologies…

Ces émissions portent sur des discussions sur la supériorité donnée à la conscience par rapport à la compétence ... et les compétences par rapport à la technoscience... et qui se superposent.

- Energie, nucléaire, Japon, nanotechnologies et Démocratie. : - Comment mener le développement scientifique et maîtriser son adaptation ? - Comment être moderne et imaginer les nouvelles conditions humaines : les limites d'une démocratie et des techno-sciences. ? - Comment les technologies changent nos conditions de vie, mais comment elles changent aussi nos conditions humaines. Quelle prospective et quelles perspectives? - Comment les préoccupations matérielles cohabitent avec la responsabilité des scientifiques et des politiques.

- Le Japon : énergie, nucléaire et économie à l'épreuve du tremblement de terre et du Tsunami. Sur l'économie en question avec Dominique Rousset avec ses invités : David Thesmar professeur de finances - HEC, Dominique Plihon, professeur d'économie financière - Paris XIII et président du Conseil scientifique d'Attac France, Patrice Geoffron -professeur d'économie - Paris-Dauphine et Olivier Pastré
- Débat éthique sur les avancées scientifiques et l’enjeu des nanotechonologies
Au regard des réflexions de Voltaire et de Rousseau à l'occasion du tremblement de terre de Lisbonne et les termes de Catastrophes naturelles et de catastrophes industrielles donnent à repenser une nouvelle fois au débat éthique sur les avancées scientifiques et l’enjeu des nanotechonologies en écoutant l’entretien entre Alain Finkielkraut, Etienne Klein et Olivier Rey.

Le blog Science et Ethique a interrogé deux éminents scientifiques sur la zone sismique du Japon et sur l’étude de notre planète
- Marc-Andre GUTSCHER (*) Géophysicien à l’Université Européenne de Bretagne (UEB), Brest/ Institut Universitaire Européen de la Mer - IUEM/UBO
- Michel MARCELIN (**) Directeur de recherche au CNRS au Laboratoire d'Astrophysique de Marseille - spécialiste de l'étude de la cinématique des galaxies.

3 Questions à : Marc-Andre Gutscher

1 / Quelles sont les particularités de la zone sismique du Japon et connaît-on bien cette région sous marine ?

La Plaque Pacifique se dirige vers le Ouest-Nord-Ouest a environ 8-9cm/an et plonge sous les îles Japonaises (qui font partie de la plaque Eurasiatique). Des séismes de moyenne et grande magnitude se produisent ou les deux plaques frottent l'une contre l'autre.

Il n'y a rien de "particulier" à cette zone au NE du Japon (par rapport a d'autres zones comparables sur la planète - Alaska, Chili, Sumatra) sauf si c'est peut-être un détail - tandis que beaucoup de zones de subduction (le terme technique ou une plaque s'enfonce sous une autre) sont marquées par une lacune sismique (activité faible, voire même absence totale) dans les décennies ou mêmes siècles avant un mega-séisme, cette partie du Japon connaissait une activité sismique importante et fréquente au cours des dernières décennies. Ceci a sûrement laisse penser que la majeure partie de l'énergie élastique (dû au mouvement entre les plaques "stockes" et pas relâches) avait pu se relâcher lors de ces événements assez réguliers (de magnitudes 5, 6 et 7 voire même un M8 a peu près tout les 50 ans).
Personne ne s'attendait a un événement de cette ampleur (M9 ce qui est 30 fois plus puissant qu'un M8).

Oui, la cartographie sous-marine est très bien connue, ainsi que la structure interne de la marge et du substratum allant de la côte Japonaise jusqu'aux domaines abyssaux adjacents. Les Japonais sont très engagés dans les recherches océanographiques (géologie et géophysique) et sont parmi les leaders
mondiaux absolus en sismologie moderne, (en terme de nombre de stations sismique, de nombre de stations GPS dans le pays et en terme du nombre de chercheurs travaillant dans ces domaines).

2 / Des informations sur l'aide de la cartographie pour anticiper les tremblements de terre et les systèmes d'alerte ? et quels sont vos contacts au japon alors que vous êtes intervenus de manière très active lors du tsunami de 2004 ?
(Voir la cartographie du séisme : http://www.japanquakemap.com/)

La cartographie des fonds marins Japonais est quasi-complète. C'est une aide aux modélisations de propagation de tsunami (pour la plateforme continentale et le domaine côtier), mais pas "indispensable" a un système d'alerte. Les Japonais ont probablement le système d'alerte au séisme et au tsunami le plus sophistique du monde.

Néanmoins il ne faut pas négliger l'aspect de l'éducation de la population.
Ce sont souvent leurs connaissances et leur capacité de reconnaître la situation et de se comporter/réagir de manière adéquate qui peut sauver leur vie (aux populations immédiatement adjacentes a une méga-faille lorsqu'elle rompe). Les Japonais font aussi un excellent travail dans ce domaine.
Mais il n'est pas exclu que localement certains ont pu croire que suite a la construction de murs/digues de protection contre un tsunami (de 5m pour citer un exemple concret) ils seraient "protégés". Le problème est que dans plusieurs baies le tsunami a dépassé 10m de hauteur et donc a pu facilement franchir le mur de 5m.

Personnellement je n'ai pas beaucoup de contacts dans le monde scientifique Japonais (dans le domaine des séismes et tsunamis). Je connais, bien entendu, certains auteurs d'articles scientifiques que je rencontre par exemple aux congres. Et j'ai plusieurs contacts à travers le programme IODP (Integrated Ocean Drilling Program) qui viennent du Japon.

3 / Y a -t-il encore des manques au sein du réseau mondial de surveillance et comment les scientifiques spécialistes travaillent ensemble actuellement pour mieux comprendre ce phénomène de catastrophes naturelles pour les prévenir et les anticiper ?

Les réseaux de surveillance en Pacifique sont plutôt exemplaires (et je n'ai rien à critiquer à ce sujet là). Au sujet de "comprendre et anticiper", alors la oui j'ai quelques suggestions et/ou critiques :
1) se pencher de plus près sur la subduction des Antilles (et pas seulement sur le risque volcanique de la Guadeloupe et de la Martinique) ;
2) regarder de plus près d'autres zones de subductions qui peuvent souvent paraître "tranquilles", mais qui peuvent potentiellement être en train d'accumuler des contraintes en attendant de les relâcher lors d'un futur séisme. A ce sujet les zones les plus inquiétantes à proximité de la France Métropole sont dans le Sud de l'Europe (domaine Méditerranéen) la Grèce, le Sud de l'Italie et la région Gibraltar (N Maroc/ SW Espagne/S Portugal).

(*) Marc-Andre GUTSCHER : Né a New York (1964) nationalité: française, allemande, américaine - Universite/formation: Bachelor of Science in Physics Williams College Massachusetts (1982-1986)- Master of Science in Geology University of Vermont Burlington (1987-1989)- PhD in Geophysics Geomar-Univ. Kiel (1992-1996) Depuis 2000 il est chercheur CNRS à l'IUEM/Univ. Brest et depuis 2010 Directeur de Recherche CNRS. Il est responsable d'équipe au sein du labo (intitulee Marges et Arcs).


3 questions à : Michel MARCELIN

1/Comment la Terre s'est créée et le phénomène de la tectonique des plaques ?

La Terre s'est formée en même temps que les autres planètes du système solaire, il y a 4,5 milliards d'années. Les blocs de roches et de poussières de la nébuleuse primitive se sont agglomérés pour former des astéroïdes puis des planètes. La Terre étant assez grosse, elle a maintenu longtemps un cœur fondu (la chaleur interne provenant principalement de la radioactivité naturelle des roches) et la croûte superficielle, composée de roches solidifiées, a pu glisser sur le manteau sous-jacent, composé de roches relativement molles. C'est la fameuse tectonique des plaques, dont la preuve la plus évidente est la dérive des continents qui est encore observée aujourd'hui. A titre comparatif, la planète Mars, plus petite que la Terre, a un cœur refroidi et ne connaît pas de tectonique des plaques.


2/ A-t-on remarqué des phénomènes particuliers dans les astres au moment des grands tremblements de terre ?
Non. Tout au plus on pourrait penser que les effets de marées, liés à la Lune et (dans une moindre mesure) au Soleil, pourraient favoriser les tremblements de terre. Mais aucune corrélation n'a pu être mise en évidence entre les fortes marées et les tremblements de terre.

3 / Quelles sont les grandes catastrophes naturelles dans l'espace qui pourraient ou qui ont des impacts sur notre planète ?
La plus probable serait la chute d'un astéroïde de grande taille (quelques kilomètres) sur la Terre. Cela pourrait engendrer un gros tremblement de terre et, surtout, un tsunami dévastateur. De plus, le rejet de grandes quantités de poussières dans l'atmosphère à la suite de l'impact, provoquerait un obscurcissement du ciel et un refroidissement marqué du climat. On pense d'ailleurs que c'est l'impact d'un astéroïde d'une dizaine de kilomètres de diamètres qui a provoqué la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d'années.

Une autre catastrophe naturelle (heureusement moins fréquente) qui aurait des effets dévastateurs, serait l'explosion d'une étoile proche en supernova. Mais aucune étoile du voisinage solaire n'est actuellement susceptible d'exploser ainsi. Quant au Soleil lui-même, il est trop peu massif pour finir sa vie sous forme de supernova, par contre il deviendra une géante rouge dans 4 à 5 milliards d'années. Il gonflera alors au point d'absorber Mercure puis Vénus et se stabilisera au niveau de l'orbite terrestre. Il faudra donc, si il y a encore des habitants sur Terre à ce moment là, qu'ils envisagent sérieusement de déménager car notre Terre deviendra inhabitable. En effet, les océans s'évaporeront entièrement et elle ne méritera plus son qualificatif de "planète bleue"...


(**) Michel MARCELIN est directeur de recherche au CNRS au Laboratoire d'Astrophysique de Marseille. Il est spécialiste de l'étude de la cinématique des galaxies. Il intègre l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 1972 et passe l'agrégation de physique en 1975. Il fait un DEA d'astrophysique en 1976 puis obtient une bourse du CNES et soutient une thèse de 3ème cycle sur l'étude de l'exosphère de Vénus en 1978.
Il entre au CNRS en 1980 et soutient sa thèse d'état en 1983, consacrée à l'étude des champs de vitesses de galaxies avec un interféromètre de Fabry-Perot.
Avec l'équipe d'interférométrie de l'Observatoire de Marseille, il observe sur de nombreux télescopes dans le monde (dans le Caucase, en Arménie, à Hawaii, au Chili, et bien sûr en Haute Provence). Il a été directeur adjoint de l'Observatoire de Marseille de 1996 à 2000. et responsable de l'équipe Physique des Galaxies du Laboratoire d'Astrophysique de Marseille de 2000 à 2008.
Il est auteur (ou co-auteur) d'une
centaine de publications dans des revues spécialisées. Il s'intéresse aussi à la diffusion des sciences et a publié trois ouvrages de vulgarisation d'astronomie chez Hachette, dont "L'Astronomie" qui a obtenu le prix du livre d'astronomie de Haute Maurienne en 1991 et en est à sa 6ème édition et a été vendu à près de 45 000 exemplaires.

La Bretagne solidaire du Japon :

La Région Bretagne ouvre un fonds de solidarité de 50 000 € pour soutenir les sinistrés de Sendai, la ville jumelle de Rennes, l’une des plus touchées par la catastrophe qui frappe le Japon.

Jean-Yves Le Drian a proposé que la Région prenne l’initiative d’organiser un concert de soutien et de solidarité à Rennes avec les artistes bretons, avec le parrainage des Bretons du Japon et en partenariat avec les Villes de Rennes (jumelle de Sendai) et de Brest (jumelle de Yokosuka). D’autre part, il a confirmé qu’il maintiendrait son déplacement au Japon mi-juillet, comme chaque année, pour rencontrer les dirigeants des groupes japonais implantés en Bretagne.



Article BB - RH 3B Conseils
Sources : France Culture /entretiens Science et Ethique / Région Bretagne
Photos : Région Bretagne / Ouest France